SYNTHESE SUR LE PERSONNAGE DE ROMAN
Le
personnage de roman
Le
personnage est généralement un être de papier,
un être de fiction totalement inventé. Il est "fabriqué"
par différents éléments du récit : les actions, les paroles, les
portraits. Ce n'est pas une personne mais le lecteur feint de croire
à son existence: on parle d'illusion
romanesque. Le
romancier cherche à donner l'illusion du vivant. Le personnage n'est
pas construit au hasard, il
s'agit d'une construction idéologique et esthétique
dans la mesure où il incarne/ reflète les idées, les mœurs, les
ambitions d'une époque et d'un auteur. Il
est porteur d'une vision de l'homme et du monde, il est porteur de
significations.
Le roman ne se contente pas de raconter des histoires, il véhicule
des valeurs. Par son ampleur, la multiplication des personnages
et des voix narratives il peut donner lieu à des discours multiples,
il peut permettre de confronter des discours contradictoires.
On parle alors pour le roman de discours
polyphonique. Le
personnage principal, souvent confondu avec le héros, est en effet
entouré de personnages secondaires auxquels il peut se confronter.
Il peut s'agir de promouvoir une société ou un idéal en
place mais aussi de les critiquer ou d'en promouvoir d'autres (ex:
Mme de La Fayette, en plein accord avec son personnage, promeut
l'idéal classique et condamne la passion, tandis que Zola, à
travers Nana, dénonce les travers de la société en cette fin du
Second Empire. Dans ce cas, les valeurs des personnages ne coïncident
pas avec celles du romancier). Certains
personnages opèrent donc comme les porte-parole du romancier.
Le romancier recourt pour ce faire à un narrateur. Ce narrateur peut
intervenir dans le récit par le biais de commentaires qui approuvent
ou désapprouvent les actes du personnage par exemple. Dans ce cas il
opère comme un relais entre le romancier et le lecteur (voir
Diderot, Jacques le
Fataliste). Mais le
narrateur peut aussi être très effacé. Il revient alors au
lecteur de déduire le sens, les idées et les valeurs de
l'histoire.
Il faut
retenir qu'un personnage a une identité complexe: certaines données
sont des traits permanents, qui font que le personnage reste
identifiable tout au long du récit; d'autres changent au fil des
pages en fonction de l'évolution du personnage. Il est à noter que
la fin du roman sanctionne la réussite ou l'échec de sa quête et
de ses actes.
La
construction du personnage:
Le
romancier recourt à différents procédés pour caractériser les
personnages et leur donner vie:
- il le dote
d'un nom, qui peut faire sens, refléter son origine sociale, son
caractère. Les changements de nom ou la surprise ménagée par un
nom énigmatique contribuent à l'intérêt narratif.
- il le dote
d'une identité physique, morale et sociale. Le portrait mentionne
souvent son corps, mais aussi son caractère, ses sentiments et ses
pensées qui peuvent transparaître aussi dans des gestes, des
mimiques. Il peut également être doté d'un statut (fortune,
profession...).
Ces
différentes informations peuvent être fournies au lecteur de
différentes façons:
- un narrateur
présente le personnage. Le recours au point de vue omniscient permet
de préciser son portrait, son passé, ses pensées.
- un autre
personnage peut aussi s'en charger
- le personnage
lui-même peut se faire narrateur ou se dévoiler dans des paroles
rapportées au discours direct.
Le romancier
peut conjuguer ces trois modes de présentation. Par ailleurs le
décor, les objets et les vêtements peuvent apporter des
informations indirectes.
Attention! Des
romanciers peuvent chercher au contraire à briser l'illusion
romanesque (cf. Diderot, Jacques le Fataliste) et à exhiber
ces artifices.
Le personnage
est un ACTANT et c'est surtout par ses actions qu'il
prend tout son sens.
A
propos de la notion de héros
Dans
l'Antiquité le héros est un personnage de fiction que se situe
entre l'humain et le divin. C'est un individu hors du commun qui
semble doté de qualités et de capacités presque surhumaines. Les
héros épiques comme Ulysse agissent au nom de leur peuple et de ses
valeurs. Au cours de leur quête, ils affrontent de nombreux
obstacles souvent ménagés par les Dieux. Le personnage de
roman s'est constitué à partir de ces modèles offerts par
l'épopée. Le lecteur suit ses actions, pénètre ses pensées, ses
réflexions. Parfois le personnage commente ses péripéties, ses
actes et ses décisions. Il peut même se faire narrateur de ses
propres aventures ou de celles des autres.
On retrouve
ces caractéristiques chez de nombreux personnages des romans du
Moyen âge (le chevalier) et de la Renaissance qui se distinguent par
leurs conquêtes amoureuses, leurs exploits et leurs faits d'arme. Le
héros évolue dans un monde très idéalisé et fait preuve de
courage, de qualités guerrières mais aussi morales et religieuses.
On peut mentionner à ce titre le géant Gargantua, doté de qualités
et de facultés extraordinaires, qui incarne l'idéal humaniste
(Rabelais, Gargantua). Cependant le héros se rapproche
progressivement d'une personne réelle, ce qui facilite l'adhésion
du lecteur et surtout son identification au personnage. Il permet au
lecteur de vivre des aventures par procuration et de s'évader ainsi
de son quotidien. Certains comme Arthur ou Lancelot constituent des
figures de légende. Le personnage héroïque est un individu
d'exception, mais dès le XVIème se profile aussi une
catégorie de personnages permettant une représentation plus
réaliste des faiblesses de l'homme. Le picaro des romans picaresques
par exemple est un gueux qui fraie avec toutes les classes sociales.
Il existe également des personnages qui ont pour vocation de
susciter le rire et la réflexion (ex : Renart dans le Roman
de Renart). On parle alors de veine satirique.
A partir du
XVIIème, notamment avec Don Quichotte, tandis que le
roman se diversifie, le héros s'individualise et il est davantage
question de destin. Ces personnages se caractérisent souvent
par leurs vertus chrétiennes, même si les romanciers rapportent
leurs passions (cf. La Princesse de Clèves). Les récits
suivent toujours le schéma actantiel: le héros poursuit une quête
et rencontre sur son chemin des adjuvants et des opposants. Mme de La
Fayette innove avec le recours à la technique du monologue intérieur
qui permet au récit de retracer les états d'âme et les mouvements
de conscience du personnage. Ses pensées les plus intimes défilent
sans qu'il prenne véritablement la parole. Le roman épistolaire
(échange de lettres), qui connaîtra son apogée au XVIIIème,
permet également d'accéder aux pensées et aux sentiments du
personnage. Le XVIIème voit ainsi la naissance du roman
psychologique.
Au
XVIIIème, le roman se montre apte à assurer sa propre
critique. Ainsi Diderot dans Jacques le Fataliste brise
l'illusion romanesque, souligne la toute puissance de l'écrivain sur
ses personnages et dévoile les ficelles de l'écriture romanesque.
Il ne s'agit plus de faire croire à la réalité du personnage mais
bien d'apprendre au lecteur à ne plus confondre fiction et réalité.
Les personnages sont alors des marionnettes destinées à illustrer
une philosophie (pensez aussi à Candide de Voltaire).
Au XIXème,
le héros romantique est souvent issu d'une aristocratie déchue
(post révolution). Il trouve plus difficilement sa place dans la
société et il connaît souvent des amours difficiles, ce qui
le conduit à l'introspection, aux dépens parfois de l'action.
Parallèlement se développe un certain goût pour les personnages
fantastiques. Le héros réaliste, lui, a souvent pour ambition
fondamentale de se faire un nom dans la société, même s'il doit
faire preuve d'opportunisme ou d'hypocrisie (Julien Sorel dans Le
Rouge et le Noir de Stendhal, Georges Duroy dans Bel-Ami
de Maupassant). Les romans riment souvent avec conquête sociale
et l'on parle alors de romans de formation, d'apprentissage ou de
romans d'éducation sentimentale. Le héros, fervent défenseur du
principe de la liberté individuelle, agit en son nom propre. Il
s'agit toujours cependant de HEROS POSITIF.
L'héroïsme
se voit alors progressivement remis en question. On voit apparaitre
des antihéros, personnages qui ne maîtrisent plus véritablement
leur destin, qui sont prisonniers de leur condition sociale et
familiale (cf. Zola et la question du déterminisme et de
l'hérédité). Même lorsqu'il demeure positif, le héros est
souvent confronté à la lâcheté ou à la banalité. Ceci
s'explique par les tourments de l'histoire mais aussi par le
développement de la psychanalyse qui a profondément modifié la
conception de l'homme. Avec le traumatisme des deux guerres mondiales
apparaît un antihéros qui n'agit plus, ne rêve plus, pense peu
mais qui constate et commente ce monde malmené.
Au XXème,
le Nouveau Roman considère le personnage comme une "notion
périmée". On peut parler de crise du personnage, de
déconstruction. Sa caractérisation s'en trouve modifiée: certains
n'ont pas de nom, ne sont mêmes pas décrits, n'ont plus de valeurs.
C'est au lecteur qu'il revient de construire sa propre image des
personnages à partir des quelques indices qui lui sont livrés.
Parallèlement, l'intrigue ne domine plus le récit. Toutefois, le
roman ne pouvant totalement se passer de lui, le personnage ne
disparaît pas mais se voit renouvelé par des approches innovantes
comme celles du "flux de conscience" (La Modification
de Michel Butor). Plus que les aventures du personnage c'est
l'aventure de l'écriture qui intéresse le romancier.
La
conception du personnage de roman a donc évolué au fil des siècles,
tout comme ont évolué les interrogations des écrivains sur l'homme
et sur son rapport au monde.
A partir de la fin du XVIIème,
contrairement au théâtre tragique qui convoquent toujours des
personnages héroïques, le roman s'ouvre au quotidien, à
l'ordinaire et devient par définition le genre de l'antihéros que
l'on nomme aussi héros déceptif (par opposition au héros positif),
ce qui explique qu'il soit resté longtemps un genre littéraire
déconsidéré. Il cherche moins à idéaliser le monde qu'à
l'interroger et à en proposer une vision critique.
Qu'est-ce
qu'un type ?
C'est un
personnage qui regroupe tous les traits caractéristiques d'un
caractère, d'une catégorie de personnes ou d'un groupe social. Le
roman réaliste au XIXème fait ainsi du personnage une
figure illustrative. Le romancier peint la société et le héros
perd toute caractérisation individuelle pour représenter les mœurs
du moment (ex: Nana incarne les cocottes du XIXème). Le
lecteur peut ainsi mieux appréhender le fonctionnement des hommes et
de la société. Par souci de réalisme, le romancier cherche à
peindre aussi le banal, le quotidien (scène de repas, description
des milieux ouvriers et des artisans). Le peuple fait sa véritable
entrée en littérature. Le naturalisme, et tout particulièrement
Zola, use du personnage comme d'un outil de démonstration
scientifique. Il s'agit de faire la preuve du déterminisme et de
l'atavisme.
Les
topoi
romanesques:
Le roman
s'est toujours plus ou moins efforcé de représenter la réalité
(qu'il l'idéalise ou non). Il s'agit de restituer un milieu, une
époque, les mœurs d'un groupe social, des individualités. On
retrouve donc le personnage dans des scènes de la vie courante:
scènes de repas, scènes de rencontre, qui constituent des topoi
romanesques (passages obligés, lieux communs). Les scènes de
rencontre opèrent comme des temps forts de l'intrigue, tandis
que les repas constituent souvent des pauses propices au dévoilement
des pensées des personnages. Ces différentes scènes ont souvent
une dimension symbolique.