mercredi 25 février 2015

Dissertation : La violence au théâtre

Le théâtre, texte et représentation :

La violence au théâtre


Exemple de sujet : La représentation de la violence peut provoquer une certaine fascination chez le spectateur. Vous montrerez que le théâtre peut être le reflet d'une telle fascination mais aussi que cet art peut utiliser la violence à des fins plus profondes.



Analyse du sujet :

  1. Violence → fascination du spectateur. Qu'est-ce qui pousse le spectateur à assister à des pièces qui auraient tout pour les effrayer ?
  2. La violence n'est pas un spectacle gratuit. Le théâtre peut utiliser cette violence « à des fins plus profondes » → fins artistiques ? Philosophiques ?



Mobiliser des connaissances :

  1. La tragédie : s'achève par la mort → liée à la violence. Mais violence qui n'est pas gratuite. Les pièces tragiques représentent le combat de l'Homme face à des forces qui le dépassent : réflexions subtiles sur la condition humaine. Pour Aristote, le but de la tragédie est la catharsis : purgation des passions sombres du spectateur qui ressent horreur et pitié pour les personnages à la fois coupables et victimes.
  2. La comédie : vise à faire rire et réfléchir. Fin heureuse et personnages qui ne sont pas empruntés aux mythes ni à l'Histoire. Plus légère : dépourvue de violence ? Dans Tartuffe ou Le Misanthrope, Molière peut être grave pour peindre les défauts des hommes. Molière qualifie Tartuffe de « scélérat ». → Le personnage agit avec une violence sournoise.
    Molière, préface de Tartuffe : « nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule. »



Éléments d'introduction :


« La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts » : 

c'est avec ces mots sombres que le chœur évoque la tragédie dans Antigone de Jean Anouilh. En allant voir une tragédie, chaque spectateur sait en effet qu'il va être confronté à une forme de violence, qu'elle soit physique, morale ou verbale. Mais alors, pour quelles raisons se presse-t-on depuis des siècles pour assister à ces pièces ? Pour mieux comprendre ce qu'apporte la violence sur la scène du théâtre, nous commencerons par étudier cette forme de fascination qui peut naître chez le spectateur. Seulement, dans un deuxième temps, nous montrerons également que la représentation de la violence vient enrichir la création artistique. Pour finir, nous noterons qu'elle peut aussi nourrir la réflexion du lecteur et du spectateur.


1 . La violence nourrit la fascination



A ) La fascination pour les victimes



Le spectateur est amené à ressentir la violence du point de vue des victimes.

► Exemple : Dans Les Juives de Robert Garnier : confrontation à la douleur d'un peuple victime d'un roi sanguinaire. Violence physique et morale → faire compatir le spectateur. Fait partager la souffrance grâce au registre pathétique.

Britannicus, mise en scène Jean-Louis Martinelli
► Dans Britannicus de Racine : l'empereur Néron contraint Junie à rompre avec Britannicus. Britannicus, qui ignore que Néron les observe, accable Junie de questions et reproches : « Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ?/ Quoi ! Même vos regards ont appris à se taire ?/ Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux ?/ Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ? » Forme de violence dans cette mise en scène organisée par Néron même si aucune goutte de sang versée. La perversité de l'empereur détruit Britannicus.


→ Types de violence variés au théâtre. La « fascination » éprouvée par le spectateur est complexe : mélange d'identification et de distanciation. Il ressent les émotions du personnages sans tout-à-fait les partager.



B ) La fascination pour les coupables



Le spectateur peut aussi être fasciné par les personnages responsables de la violence.
► Exemple : Dans Britannicus de Racine : Néron est au premier plan malgré le titre. Selon Roland Barthes, Néron est un « monstre », mais monstre intrigant car il délaisse peu à peu le bien pour choisir le mal. Son attitude est condamnable mais personnage qui se révèle plus riche que Britannicus qui n'évolue pas.


→ L'attitude des coupables peut être complexe.

► Exemple : Dans Horace de Corneille : c'est au nom de l'honneur qu'Horace tue tous ceux qui s'opposent à Rome.

► Dans Lorenzaccio de Musset : Lorenzo est amené à se transformer en débauché et meurtrier au nom d'un idéal de justice : il veut délivrer Florence d'un tyran. Souvent dans le drame romantique : dualité du héros qui intéresse l'auteur. 

Lorenzaccio, mise en scène Georges Lavaudant, 1989


→ L'ambiguïté de ces personnages suscite l'intérêt du spectateur.

► Exemple : Oedipe a tué son père et couché avec sa mère mais a été victime du destin.


→ Personnages à la fois coupables et victimes : le spectateur ressent un mélange d'horreur et de pitié.→ Catharsis : purgation des passions. Le spectateur sortirait selon Aristote lavé de ses passions.



Conclusion : Sur le plan émotionnel : la représentation de la violence est très riche. Peut révolter ou émouvoir, mais ne laisse pas indifférent : aspects fascinants.


Transition : Mais le théâtre peut également utiliser cette violence à d'autres fins.



2. La violence nourrit la création



A ) Écrire la violence



La violence peut nourrir la création. Nombreux moyens d'écrire des scènes sombres et sanglantes:grande variété des dénouements tragiques. Les auteurs baroques n'hésitaient pas à représenter la mort sur scène.

► Exemple : Fin d'Antigone de Jean de Rotrou : Hémon se suicide sur scène près du cadavre d'Antigone. Avant de se donner la mort, laisse parler sa colère et s'adresse à son père Créon : « Retirez-vous, barbare évitant ma colère : / Je n'ai plus de respect, ni connais plus mon père. ». Didascalies, interjections, apostrophes, phrases exclamatives → Rotrou met son art au service de la violence physique et verbale.

Mort d'Antigone de Victorine Angélique Genève-Rumilly, 2ème quart du XIXème siècle


La mise à mort peut être plus sobre : pièces classiques qui respectent la bienséance. Peut être tout aussi poignant.

► Exemple : Dans Horace de Corneille : on ne voit pas la mort de Camille mais on entend ses dernières paroles → alimente l'imagination du spectateur.

► Dans Suréna, Corneille fait mourir son héros loin du spectateur mais le récit est sobre et touchant : « A peine du palais il sortait dans la rue, / Qu'une flèche a parti d'une main inconnue. / Deux autres l'ont suivie ; et j'ai vu ce vainqueur, / Comme si toutes trois l'avaient atteint au cœur, / Dans un ruisseau de sang tomber mort sur place. »

► Dans la préface de Bérénice, Racine affirme que 

« ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l'action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. »

→ Racine préfère la violence des passions à celles des corps.


→ Violence particulièrement riche pour les auteurs sur le plan littéraire : permet d'offrir une majesté aux actes les plus sombres.



B ) Représenter la violence



La violence peut aussi valoriser les comédiens et metteurs en scène.

► Exemple : Dans la préface de Bérénice, Racine rappelle l'importance des acteurs qui doivent être « héroïques » pour donner vie à la violence des « passions ».


→Les scènes sombres et agitées leur permettent d'utiliser toute la palette de leur art : intonations, expressions du visage, gestuelle.... Les acteurs apprécient ces rôles : ils leur permettent de se confronter à des personnages troubles et complexes.


Drames romantiques : stimulants pour les metteurs en scène qui doivent interpréter la violence, lui donner un sens.

► Exemple : Dans sa mise en scène de Lorenzaccio, Francis Huster donne au crime de Lorenzaccio un sens politique : même si l'action est censée se dérouler à Florence au XVIeme, il ramène l'intrigue dans le contexte agité de la France au XIXème grâce aux costumes.

► Georges Lavaudant a proposé plusieurs mises en scène de ce drame : son interprétation de l'acte de Lorenzo a évolué avec le temps : « J'ai maintenant tendance à regarder le meurtre du duc comme un fait divers. […] Je n'ai pas envie, aujourd'hui, de privilégier l'aspect politique de la pièce. » → Le meurtre de Lorenzo est constamment réinventé.


→ L'acte violent est une énigme déchiffrée au moment de la représentation, ne prend vie que sur scène.



Conclusion : La violence n'est pas gratuite au théâtre. L'auteur, le metteur en scène et l'acteur s'en nourrissent pour lui donner un sens.
 

Transition : Elle entraîne alors la fascination du spectateur mais alimente aussi sa réflexion.



3. La violence nourrit la réflexion



A ) La question du mal



     La représentation de la violence nous entraîne vers une réflexion sur le mal. Pour certains auteurs, interroger cette forme d'ombre est même l'essence de la littérature.

► Exemple : Dans la préface de La Littérature et le Mal, George Bataille écrit :  

« La littérature authentique est prométhéenne. L'écrivain véritable ose faire ce qui est contraire aux lois fondamentales de la société. »



► Dans un chapitre du Théâtre et son Double intitulé « Le théâtre et la cruauté », Antonin Artaud écrit qu'  

« il est certain que nous avons besoin avant tout d'un théâtre qui nous réveille : nerfs et cœur. »



→ La jalousie, le mensonge, l'orgueil : sentiments à l'origine des plus grands personnages de la littérature.

► Exemple : Néron dans Britannicus de Racine

► Tartuffe dans la pièce de Molière

► Caligula dans la pièce d'Albert Camus.


→ Il ne s'agit pas seulement de se laver inconsciemment des passions les plus noires : le spectateur doit faire face à cette violence et l'affronter. Personnages monstrueux qui nous présentent un reflet déformé mais dont les aventures se révèlent instructives.

► Exemple : Camus écrit sur son personnage Caligula : 

« Non, Caligula n'est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous. »

Caligula d'Albert Camus, mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson


→ La violence au théâtre contribue à rendre l'Homme meilleur en faisant évoluer les consciences. 

► Exemple : Eugène Ionesco, après le seconde guerre mondiale, propose une réflexion sur la barbarie avec sa pièce Rhinocéros.

Les actions sombres valorisent par contraste des sentiments plus nobles comme l'ombre renforce la lumière.



B ) La condition humaine



La tragédie propose une réflexion subtile sur la condition humaine.

►Exemple : Le récit du mendiant, dans Électre de Giraudoux, nous rappelle qu'Agamemnon, « le roi des rois » reste un être humain qui peut « se confier » à la mort. Le personnage n'est pas un « bloc d'airain et de fer » mais « une douce chair, facile à transpercer comme l'agneau ».


→ Les héros de la mythologie semblent éloignés de notre quotidien mais nous aident à comprendre la fragilité de la condition humaine. Tous les hommes ressemblent aux grands héros tragiques traqués par le destin, condamnés à rendre les armes et à mourir.

►Exemple : Au XXème, le théâtre de Beckett propose une réflexion plus profonde sur la condition humaine : violence symbolique mais réelle : déconstruction du langage pour signifier la difficulté des rapports humains, monde abandonné par Dieu.


La conscience de la fragilité humaine est ce qui fait la grandeur de l'Homme.

► Exemple : Pascal, dans les Pensées : 

« Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. »




Conclusion :

 
La violence peut s'avérer d'une grande richesse dès lors qu'elle n'est pas gratuite. Certes, elle se révèle parfois fascinante pour le spectateur, mais elle nourrit en profondeur la création et la réflexion. En somme, en lui donnant du sens, le théâtre parvient à transformer et même à sublimer la violence. On ne peut alors que partager le souhait d'Antonin Artaud : 

« Tout ce qui est dans l'amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende. »