Dissertation : La violence au théâtre
Le
théâtre, texte et représentation :
La
violence au théâtre
Exemple
de sujet : La représentation de la
violence peut provoquer une certaine fascination chez le
spectateur. Vous montrerez que le théâtre peut être le reflet
d'une telle fascination mais aussi que cet art peut utiliser la
violence à des fins plus profondes.
Analyse du sujet :
- Violence → fascination du spectateur. Qu'est-ce qui pousse le spectateur à assister à des pièces qui auraient tout pour les effrayer ?
- La violence n'est pas un spectacle gratuit. Le théâtre peut utiliser cette violence « à des fins plus profondes » → fins artistiques ? Philosophiques ?
Mobiliser
des connaissances :
- La tragédie : s'achève par la mort → liée à la violence. Mais violence qui n'est pas gratuite. Les pièces tragiques représentent le combat de l'Homme face à des forces qui le dépassent : réflexions subtiles sur la condition humaine. Pour Aristote, le but de la tragédie est la catharsis : purgation des passions sombres du spectateur qui ressent horreur et pitié pour les personnages à la fois coupables et victimes.
- La comédie : vise à faire rire et réfléchir. Fin heureuse et personnages qui ne sont pas empruntés aux mythes ni à l'Histoire. Plus légère : dépourvue de violence ? Dans Tartuffe ou Le Misanthrope, Molière peut être grave pour peindre les défauts des hommes. Molière qualifie Tartuffe de « scélérat ». → Le personnage agit avec une violence sournoise.Molière, préface de Tartuffe : « nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule. »
Éléments
d'introduction :
« La
mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts » :
1
. La violence nourrit la fascination
A
) La fascination pour les victimes
Le
spectateur est amené à ressentir la violence du point de vue des
victimes.
► Exemple :
Dans Les Juives de Robert Garnier : confrontation à la
douleur d'un peuple victime d'un roi sanguinaire. Violence physique
et morale → faire compatir le spectateur. Fait partager la
souffrance grâce au registre pathétique.
![]() |
Britannicus, mise en scène Jean-Louis Martinelli |
→ Types
de violence variés au théâtre. La « fascination »
éprouvée par le spectateur est complexe : mélange
d'identification et de distanciation. Il ressent les émotions du
personnages sans tout-à-fait les partager.
B
) La fascination pour les coupables
Le
spectateur peut aussi être fasciné par les personnages responsables
de la violence.
► Exemple :
Dans Britannicus de Racine : Néron est au premier plan
malgré le titre. Selon Roland Barthes, Néron est un « monstre »,
mais monstre intrigant car il délaisse peu à peu le bien pour
choisir le mal. Son attitude est condamnable mais personnage qui se
révèle plus riche que Britannicus qui n'évolue pas.
→ L'attitude
des coupables peut être complexe.
► Exemple :
Dans Horace de Corneille : c'est au nom de l'honneur
qu'Horace tue tous ceux qui s'opposent à Rome.
►
Dans Lorenzaccio de Musset : Lorenzo est amené à se
transformer en débauché et meurtrier au nom d'un idéal de
justice : il veut délivrer Florence d'un tyran. Souvent dans le
drame romantique : dualité du héros qui intéresse l'auteur.
![]() |
Lorenzaccio, mise en scène Georges Lavaudant, 1989 |
→ L'ambiguïté
de ces personnages suscite l'intérêt du spectateur.
► Exemple :
Oedipe a tué son père et couché avec sa mère mais a été victime
du destin.
→ Personnages
à la fois coupables et victimes : le spectateur ressent un
mélange d'horreur et de pitié.→ Catharsis : purgation des
passions. Le spectateur sortirait selon Aristote lavé de ses
passions.
Conclusion :
Sur le plan émotionnel : la représentation de la violence est
très riche. Peut révolter ou émouvoir, mais ne laisse pas
indifférent : aspects fascinants.
Transition :
Mais le théâtre peut également utiliser cette violence à
d'autres fins.
2.
La violence nourrit la création
A
) Écrire la violence
La
violence peut nourrir la création. Nombreux moyens d'écrire des
scènes sombres et sanglantes:grande variété des dénouements
tragiques. Les auteurs baroques n'hésitaient pas à représenter la
mort sur scène.
► Exemple :
Fin d'Antigone de Jean de Rotrou : Hémon se suicide sur
scène près du cadavre d'Antigone. Avant de se donner la mort,
laisse parler sa colère et s'adresse à son père Créon :
« Retirez-vous, barbare évitant ma colère : / Je n'ai
plus de respect, ni connais plus mon père. ». Didascalies,
interjections, apostrophes, phrases exclamatives → Rotrou met son
art au service de la violence physique et verbale.
La
mise à mort peut être plus sobre : pièces classiques qui
respectent la bienséance. Peut être tout aussi poignant.
► Exemple :
Dans Horace de Corneille : on ne voit pas la mort de
Camille mais on entend ses dernières paroles → alimente
l'imagination du spectateur.
►
Dans Suréna, Corneille fait mourir son héros loin du
spectateur mais le récit est sobre et touchant : « A
peine du palais il sortait dans la rue, / Qu'une flèche a parti
d'une main inconnue. / Deux autres l'ont suivie ; et j'ai vu ce
vainqueur, / Comme si toutes trois l'avaient atteint au cœur, / Dans
un ruisseau de sang tomber mort sur place. »
► Dans
la préface de Bérénice, Racine affirme que
→ Racine préfère la violence
des passions à celles des corps.
« ce n'est
point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une
tragédie ; il suffit que l'action en soit grande, que les
acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées,
et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout
le plaisir de la tragédie. ».
→ Violence
particulièrement riche pour les auteurs sur le plan littéraire :
permet d'offrir une majesté aux actes les plus sombres.
B
) Représenter la violence
La
violence peut aussi valoriser les comédiens et metteurs en scène.
► Exemple :
Dans la préface de Bérénice, Racine rappelle l'importance
des acteurs qui doivent être « héroïques » pour donner
vie à la violence des « passions ».
→Les
scènes sombres et agitées leur permettent d'utiliser toute la
palette de leur art : intonations, expressions du visage,
gestuelle.... Les acteurs apprécient ces rôles : ils leur
permettent de se confronter à des personnages troubles et complexes.
Drames
romantiques : stimulants pour les metteurs en scène qui doivent
interpréter la violence, lui donner un sens.
► Exemple :
Dans sa mise en scène de Lorenzaccio, Francis Huster donne au
crime de Lorenzaccio un sens politique : même si l'action est
censée se dérouler à Florence au XVIeme, il ramène
l'intrigue dans le contexte agité de la France au XIXème
grâce aux costumes.
►
Georges
Lavaudant a proposé plusieurs mises en scène de ce drame : son
interprétation de l'acte de Lorenzo a évolué avec le temps :
« J'ai maintenant tendance à regarder le meurtre du duc comme
un fait divers. […] Je n'ai pas envie, aujourd'hui, de privilégier
l'aspect politique de la pièce. » → Le meurtre de Lorenzo
est constamment réinventé.
→ L'acte
violent est une énigme déchiffrée au moment de la représentation,
ne prend vie que sur scène.
Conclusion :
La violence n'est pas gratuite au théâtre. L'auteur, le metteur en
scène et l'acteur s'en nourrissent pour lui donner un sens.
Transition :
Elle entraîne alors la fascination du spectateur mais alimente aussi
sa réflexion.
3.
La violence nourrit la réflexion
A
) La question du mal
La
représentation de la violence nous entraîne vers une réflexion sur
le mal. Pour certains auteurs, interroger cette forme d'ombre est
même l'essence de la littérature.
► Exemple :
Dans la préface de La Littérature et le Mal, George Bataille
écrit :
« La littérature authentique est prométhéenne.
L'écrivain véritable ose faire ce qui est contraire aux lois
fondamentales de la société. »
►
Dans un chapitre du Théâtre et son Double intitulé « Le
théâtre et la cruauté », Antonin Artaud écrit qu'
« il
est certain que nous avons besoin avant tout d'un théâtre qui nous
réveille : nerfs et cœur. »
→ La
jalousie, le mensonge, l'orgueil : sentiments à l'origine des
plus grands personnages de la littérature.
► Exemple :
Néron dans Britannicus de Racine
►
Tartuffe dans la pièce de Molière
►
Caligula dans la pièce d'Albert Camus.
→ Il
ne s'agit pas seulement de se laver inconsciemment des passions les
plus noires : le spectateur doit faire face à cette violence et
l'affronter. Personnages monstrueux qui nous présentent un reflet
déformé mais dont les aventures se révèlent instructives.
► Exemple :
Camus écrit sur son personnage Caligula :
« Non, Caligula
n'est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous. »
→ La
violence au théâtre contribue à rendre l'Homme meilleur en faisant
évoluer les consciences.
► Exemple :
Eugène Ionesco, après le seconde guerre mondiale, propose une
réflexion sur la barbarie avec sa pièce Rhinocéros.
Les
actions sombres valorisent par contraste des sentiments plus nobles
comme l'ombre renforce la lumière.
B ) La condition humaine
La
tragédie propose une réflexion subtile sur la condition humaine.
►Exemple :
Le récit du mendiant, dans Électre de Giraudoux, nous
rappelle qu'Agamemnon, « le roi des rois » reste un être
humain qui peut « se confier » à la mort. Le personnage
n'est pas un « bloc d'airain et de fer » mais « une
douce chair, facile à transpercer comme l'agneau ».
→ Les
héros de la mythologie semblent éloignés de notre quotidien mais
nous aident à comprendre la fragilité de la condition humaine. Tous
les hommes ressemblent aux grands héros tragiques traqués par le
destin, condamnés à rendre les armes et à mourir.
►Exemple :
Au XXème, le théâtre de Beckett propose une réflexion
plus profonde sur la condition humaine : violence symbolique
mais réelle : déconstruction du langage pour signifier la
difficulté des rapports humains, monde abandonné par Dieu.
La
conscience de la fragilité humaine est ce qui fait la grandeur de
l'Homme.
► Exemple :
Pascal, dans les Pensées :
« Mais, quand l'univers
l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue,
puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui,
l'univers n'en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la
pensée. »
Conclusion :
La violence peut s'avérer d'une grande richesse dès lors qu'elle n'est pas gratuite. Certes, elle se révèle parfois fascinante pour le spectateur, mais elle nourrit en profondeur la création et la réflexion. En somme, en lui donnant du sens, le théâtre parvient à transformer et même à sublimer la violence. On ne peut alors que partager le souhait d'Antonin Artaud :
« Tout ce qui est
dans l'amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il
faut que le théâtre nous le rende. »