vendredi 27 février 2015

Comment analyser un texte de théâtre ?


Comment analyser un texte de théâtre ?

   Le théâtre n'est pas un genre littéraire comme les autres. Il n'est pas destiné, en principe, à être lu. La simple présentation du texte de théâtre, son allure morcelée, hétérogène - ses signes différents dans la page - manifestent son statut particulier : d'un côté, un texte immuable, d'un autre côté une multitude changeante de représentations. Plus que tout autre genre, il est indissociable d'une histoire, de ses conditions d'interprétation et de réception. Il est tributaire d'un espace, d'un moment, d'une troupe, d'un public, des attentes d'une époque, de traditions et de données matérielles.


Le titre : quelles informations fournit-il ?


1. Le titre est le nom du personnage principal, ce qui est une tradition du théâtre noble (la tragédie), alors que celui de la comédie peut indiquer le thème traité (Le Misanthrope, La Double inconstance). Lorenzaccio est un titre mixte qui renvoie, comme titre de drame historique, à un personnage ayant réellement existé (Lorenzo de Médicis dans la Florence du XVIème siècle) mais qui est désigné par un surnom dépréciatif (le suffixe -accio est péjoratif en italien) ; le jugement porté sur le héros est un enjeu de la pièce.

 La date : dans quel contexte cette pièce a-t-elle été publiée ?

2. La pièce paraît quatre ans après la révolution de juillet 1830 qui a permis à Louis-Philippe de devenir "roi des Français". C'est la pleine époque du drame romantique, qui fait une large place à l'histoire. Musset la publie dans Un spectacle dans un fauteuil sans la faire représenter ; il la qualifie de "drame", mais on n'y trouve pas le "grotesque" cher à Hugo. La première représentation (une adaptation) n'a eu lieu qu'en 1896 avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Lorenzo (Gérard Philippe a été le premier interprète masculin mémorable en 1952)


La première didascalie : quel découpage indique-t-elle ?

3.  La première didascalie marque le découpage en actes et en scènes, conformément à la dramaturgie classique ; la scène est cependant moins régie par les entrées et sorties des personnages que par l'unité provisoire du lieu présent ci-dessous (le lieu change à chaque scène). Cette disposition mêle ainsi l'organisation en scènes et l'organisation en tableaux - la continuité chronologique s'impose moins que le déplacement dans l'espace, des personnages entrent au milieu d'une scène ( ce sera le cas avec la venue de la jeune fille, puis de son frère). Musset a pu prendre cette liberté parce qu'il ne destinait pas sa pièce à la scène mais à la lecture.


La deuxième didascalie : quelle est sa fonction ?

4. La deuxième didascalie indique le décor. Elle a une fonction informative (où et quand ?) ; mais cela reste vague. L'indication est doublement paradoxale : le décor semble lunaire, enchanteur et bucolique, il est le lieu d'une action scrapuleuse ; les personnages semblent se préparer à une action inavouable, ils sont pourtant les représentants de l'autorité et de la loi. Les signes du théâtre sont ainsi à la fois fonctionnels et signifiants.


Le premier échange : quelle forme prend-il ? Quelle est sa fonction ?

5. Le premier échange correspond à un premier bouclage : c'est un couple de répliques, active et réactive, qui se complètent, un personnage parle, l'autre lui répond et ils informent par là le public de la situation (double destination du propos de théâtre). C'est une exposition in medias res : le spectateur surprend une action en cours.


Le deuxième échange : Comment caractérise-t-il les personnages ?

6. Musset écrit en prose (à la différence d'Hugo). Des répliques brèves (dans la tradition du XVIIIème siècle) caractérisent déjà les personnages. Le duc apparaît comme un prédateur impulsif et obsessionnel, tyrannique, violent. Un couple de personnages se dessine, l'un, secondaire et calculateur (Lorenzo), au service de l'autre, primaire et impatient (le duc). Le spectateur est mêlé à l'attente du ravisseur d'une jeune fille et de son complice, qui semblent également cyniques mais cette complicité peut commencer à éveiller quelques soupçons. L'exposition donne ainsi des informations, elle a valeur de programme, paraît crédible (les personnages ne s'apprennent pas ce qu'ils savent déjà), pique d'emblée la curiosité du public.

Le troisième échange : l'enchaînement des répliques

7. Le troisième échange, qui introduit la première longue prise de parole du personnage de Lorenzo (coupée ici), s'enchaîne sur le thème de l'argent (indice de proxénétisme et de prostitution, avec une monnaie au nom du duc). La préoccupation est triviale pour un duc : celui-ci signale d'ailleurs sa grossièreté et son impiété par un juron sacrilège. Lorenzo le modère une nouvelle fois avec une réplique porteuse d'un double sens implicite : il n'a "avancé que moitié" dans son autre entreprise, encore secrète. Pour faire attendre le prédateur impatient, l'entremetteur se porte garant en commençant un éloge cynique de la proie.


Source : J. Vassevière, M. Vassevière, R. Lancrey-Laval, L. Vigier, Manuel d'analyse des textes, Histoire littéraire et poétique, Armand Colin