dimanche 1 mars 2015

Poésie : Comment étudier la versification ? (I) La Rime




COMMENT ÉTUDIER LA VERSIFICATION

Il convient d’analyser cinq éléments :

     I - LA FORME : sonnet
                                  ode, pantoum, etc.

    II - L'ORGANISATION STROPHIQUE
                                 - L'unité strophique : quatrain, tercet, distique
                                 - La formule de l'unité strophique : vers isométrique (12 - 12 ...)
                                                                                          vers hétérométriques (10 - 8 ...)

    III - LE MÈTRE : alexandrin, décasyllabe, etc.

    IV - LA RIME
                                 - La disposition : plate
                                                             croisée
                                                             embrassée
                                 - Le genre : masculine
                                                    féminine
                                 - La qualité : pauvre
                                                       suffisante
                                                       riche

     V - LE RYTHME (i.e l'étude de la place des accents et les conséquences)
                                 - La césure : enjambante
                                                      épique
                                                      lyrique
                                 - La coupe :  enjambante
                                                      épique
                                                      lyrique
                                 - Conséquences de cette accentuation sur la syntaxe (donc sur le sens du vers).
                                                       Deux cas :
                                                                        1 - concordance i.e coïncidence entre l'accent métrique et la pause syntaxique.
                                                                  2 - discordance entre l'accent métrique et la pause syntaxique :
                                                                                                  rejet
                                                                                                  contre-rejet
                                                                                                  enjambement

CONCLUSION

Deux remarques s'imposent :

1 - Le système de la versification donne une disposition nouvelle qui remet en cause la syntaxe et donc le sens.
2 - Il y a création d'un nouveau langage dont la fonction ne peut être de désigner l'univers référentiel ordinaire du langage commun : au lieu de dénoter, les mots connotent et nous autorisent à une analyse symbolique.


LA RIME

DÉFINITION
Deux mots riment ensemble quand leur dernière voyelle sonore, et éventuellement les consonnes qui la suivent, ont le même timbre :
espoir / soir 
barbu / pointu
Il s'agit donc ( entre deux ou plusieurs mots ) d'une homophonie de leur dernière voyelle tonique ainsi que de tous les phonèmes qui, éventuellement la suivent.

REMARQUES

1 - Bien qu'un "e" muet en fin de vers ne compte pas pour une syllabe, on n'admet pas qu'un mot de terminaison sonore (rime masculine) rime avec un mot de terminaison muette.
"clerc" ne peut rimer avec "claire"
"chair" ne peut rimer avec "chère"
Les partisans du vers libre ont protesté contre cette règle arguant du fait que le "e" muet final ne se prononçant pas, "clerc" et "claire" ont exactement le même son. Mais on sait qu'une prononciation artificielle du "e" muet est maintenue en vers. De plus, les finales muettes, quand les vers sont mis en musique, comptent pour un temps :
" J'ai du bon tabac dans ma tabatiè-re"
2 - On estime que la rime féminine a un effet "suspensif" alors que la rime masculine (surtout vocalique) a un effet "conclusif" :
"J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas"
Ces valeurs sont exploitées dans la célèbre chanson :
"Plaisir d'amour ne dure qu'un moment
Chagrin d'amour dure toute la vi-i-e"
3 - Les rimes sont la mémoire interne du poème. Par leur position privilégiée, en fin de vers, elles soulignent le rythme, rapprochent ou opposent des mots-clés.

RIMES FÉMININES / RIMES MASCULINES

I - Rimes féminines
Rimes en "e" muet-que celui-ci soit après consonne ("monde") ou après voyelle ("nue").
II - Rimes masculines

Rimes sans "e" muet final.

REMARQUE
Il n'y a pas à considérer le genre grammatical des mots intéressés.

LA DISPOSITION DES RIMES

I - RIMES PLATES
Appelées aussi rimes "suivies" ou "jumelles".
Schéma : AA BB

II - RIMES CROISÉES
Appelées aussi rimes "alternées".
Schéma : ABAB

III - RIMES EMBRASSÉES
Schéma : ABBA

IV - RIMES REDOUBLÉES
Quand le même son est reproduit plus de deux fois, la rime est dite "redoublée".
Schéma : AAAB CCCB CCCD

V - RIMES MÊLÉES
Quand les poètes recourent successivement aux différentes dispositions sans autre règle que leur fantaisie, ou leur sens de l'effet à produire.
Les meilleurs exemples se trouvent dans les Fables de la Fontaine.

VI - QUELQUES RIMES PLUS RARES

1 - Rime annexée : elle reprend la syllabe de rime au début du vers suivant.
"Par trop aimer mon pauvre cœur lamente
                      Mente qui veut, touchant moi je dis voir (vrai)." Marot

2 - Rime fratrisée : elle reprend non seulement la syllabe de rime mais le mot entier.
"Cretin n'entend en combats ou tournois
                 Tournois gagner pour Molin empêcher." G. Cretin
("tournois" : ancienne monnaie frappée à Tours)

3 - Rime enchaînée : elle reprend la base lexicale du mot de rime ou d'un mot voisin pour l'"enchaîner" à la suite.
"Dieu des amans, de mort me garde;
        Me gardant donne moy bon heur;" Marot

4 - Rime batelée : fait rimer la fin du vers avec la fin de l'hémistiche suivant.
           "Nymphes des bois, pour son nom sublime
  Et estimer, sur la mer sont allées :   
         Si furent lors, comme on doit présumer,
                           Sans écumer les vagues ravalées (aplanies)." Marot

5 - Rime brisée : fait rimer les vers par la césure.
"Chacun doit regarder / / selon droit de nature
                   Son bien propre garder / / ou trop se dénature." G. Cretin

6 - Rime couronnée : répétition d'une ou plusieurs syllabes de la rime.
"Dieu tout puissant, prince d'honneur donneur,
        Vrai rédempteur, homme seul parfait fait." Destrées

7 - Rime à double couronne : répétition d'une ou plusieurs syllabes de la rime et de la césure.
"Molinet net / / ne rend son canon, non
                         Trop de vent vend, / / et met nos ébats bas" G. Cretin

8 - Rime emperière (impériale) : elle triple la syllabe de rime.
"Qu'es-tu qu'une immonde, Monde, onde ?"

9 - Rime équivoquée : une même rime est réalisée par des mots différents.
"J'ai tel regret de mon adversité        
                  Que jà mon coeur se rend à vers cité." G. Cretin

10 - Rime senée : tous les mots d'un vers commencent par le même phonème que le mot à la rime (cette figure ne repose pas sur la syllabe).
"Fausse Fortune, fragile, fantastique,
                    Folle, fumeuse, folliant, follatique." J. Bouchet.


LA QUALITÉ DE LA RIME

Il s'agit d'étudier la qualité phonique de la rime. Pour l'analyse, on fondera la hiérarchie des rimes sur le nombre seul des homophonies. Il est bien entendu qu'il s'agit des homophonies réelles et que ne doivent compter, en Français moderne, ni les consonnes purement graphiques, ni dans les rimes féminines, les "e" finals muets :
doux / cailloux 1 homophonie
  usage / partage 2 homophonies
       génie / monotonie 2 homophonies

I - La rime pauvre.
 On note une seule homophonie, celle de la dernière voyelle tonique ( = accentuée ) du vers, non suivie de consonne :
moi / roi
           ma mie / la scie

II - La rime suffisante
On note deux homophonies i.e une voyelle identique suivie d'une consonne identique :
- voyelle tonique + consonne suivante : rêve / achève mer / fer
- consonne d'appui + voyelle tonique finale : incendie / hardie
va / trouva

III - La rime riche
A partir de 3 phonèmes identiques i.e 3 homophonies :
- consonne + voyelle + consonne vers / divers
                                                      échine / machine
- consonne + consonne + voyelle partie / ortie
                                                      ardu / perdu
- consonne + consonne + voyelle pré / diapré
- voyelle + consonne + consonne arc / parc

Remarque
Les voyelles étant plus audibles que les consonnes, la rime est également riche si la voyelle tonique est précédée d'une "voyelle d'appui" identique :
     inouï / réjoui
Dans la suite "voyelle + consonne + voyelle", nous avons 3 phonèmes identiques dont deux voyelles : c'est une rime plus que riche. On appelle cette rime, rime "double" ou
"léonine"
         vendu / pendu
Cette rime double ou léonine est appelée rime "dissyllabique" lorsqu'il y a deux
syllabes semblables:
              sultan / insultant

IV - La rime équivoquée
C'est une rime encore plus riche, chère aux grands Rhétoriqueurs et condamnée par Du Bellay :
"ont du plaisir, et liesse abondance :
                        On chante, on rit; qui le corps a bon danse"
                                     G. Cretin (un Rhétoriqueur)
"Gloire du long désir, Idées,
 Tout en moi s'exaltait de voir
 La famille des iridées           
 Surgir à ce nouveau devoir" 
                                S. Mallarmé
V - Vers holorismes ou rimes millionnaires
"Dans ces meubles laqués rideaux et dais moroses
       Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses."
                         (exercices chers aux poètes parnassiens)