Le contexte des Liaisons dangereuses : Lumières et libertinage
Le contexte des Liaisons
dangereuses
Le siècle des Lumières
Le XVIIIème
siècle est dominé par la raison : il faut se libérer des préjugés,
des superstitions et des jugements sans fondement. On remet en cause
la religion et l'autorité de l’Église qui entretient
l'intolérance, le pouvoir politique qui impose un ordre social
arbitraire et entretient les inégalités, amplifiées par une crise
économique et de mauvaises récoltes. La crise sociale est à son
comble quand Louis XVI veut rétablir les droits féodaux. L'homme
doit être considéré pour son mérite et non pas pour sa naissance.
La bourgeoisie, qui représente le pouvoir financier considère que
la réussite sociale ne doit être que la conséquence du travail et
des valeurs de l'individu. Le tiers-état adhère à leurs idées et
les événements vont se précipiter et amener la chute de l'Ancien
Régime.
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La Liberté guidant le peuple, Eugène DELACROIX, 1830 |
05/05/1789
: réunion de États Généraux,
14/07/1789
: révolution ( prise de la Bastille),
04/08/1789
: abolition des privilèges
26/08/1789
: déclaration des droits de l'homme et du citoyen
10/08/1792
: chute de la monarchie, la famille royale est enfermée à la prison
du Temple
21/09/1792
: abolition de la royauté ; une grande partie de la noblesse part en
exil, proclamation de la république
21/01/1793
: Louis XVI est guillotiné.
8/12/1793
: la liberté de culte met fin à l'intolérance religieuse qui
sévissait depuis la révocation de l'Édit de Nantes en 1685 par
Louis XIV.
Les grandes idées du
XVIIIème siècle
- On croit au progrès de
l'homme, perfectible, moralement et intellectuellement. L'homme est
maître de son destin, on revendique le libre-arbitre.
- On aspire au bonheur,
non pas au bonheur égoïste mais à un bonheur collectif qui devient
le but de l'organisation sociale, chacun doit se rendre utile au
bonheur collectif.
Les philosophes se
déplacent en Europe et découvrent d'autres façons de gouverner, la
monarchie constitutionnelle et le despotisme éclairé et remettent
en cause la monarchie à la française : Diderot dans l'article
"Autorité politique" de l'Encyclopédie dénonce la
monarchie de droit divin, Montesquieu dans De l'esprit des lois
(1748) revendique la séparation des pouvoirs, Rousseau dans Le
Contrat social (1762) démontre que le pouvoir royal est une
usurpation et ne considère comme légitime que la démocratie.
La découverte de
nouvelles contrées permettent de découvrir d'autres mœurs,
d'autres croyances et font progresser le relativisme : il n'y a pas
de valeur unique (cf Micromégas de Voltaire, les Lettres
persanes de Montesquieu)
On accorde une
importance nouvelle à l'esprit d'examen sous l'influence de Locke,
philosophe anglais qui rejette la connaissance intuitive et innée
(contrairement à Descartes) et explique dans son Essai sur
l'entendement humain (1690) que l'expérience sensorielle est
déterminante pour accéder à la connaissance. Le développement de
l'esprit scientifique et les nouvelles découvertes (le thermomètre,
le paratonnerre, la machine à vapeur...) démontrent l'importance de
la rigueur et de l'expérience. Il ne faut juger pour vrai que ce qui
a été démontré.
Le libertinage
Définition
:
Étymologie
: le terme libertin
vient du latin libertinus,
qui
désigne l'esclave affranchi et prend donc le sens de libre
= qui ne dépend plus d'un maître.
D'après
Littré,
le
terme apparaît pour la première fois au XVIème siècle et
signifie : "indocile aux croyances religieuses", c'est
ainsi que l'on trouve à Genève le
parti des libertins, qui
revendique la liberté et s'oppose à la domination de la religion.
Dés
lors il désigne celui qui "ne s'assujettit ni aux croyances
religieuses, ni aux pratiques de la religion.", puis il désigne
ceux qui revendiquent une liberté d'opinion et de pensée.
Le
sens évolue et signifie :
"désireux
d'indépendance"
"qui
dépasse la mesure"
"qui
va à l'aventure" ( = qui laisse aller ses pensées ; qui se
laisse emporter dans des digressions)
"dissipé,
qui néglige ses devoirs pour le jeu" ( = aussi bien l'élève
qui se laisse distraire, que l'adulte qui néglige ses obligations
sociales, familiales, pour se consacrer à son plaisir)
"déréglé
par rapport à la moralité entre les deux sexes"
C'est
ce dernier sens qui est le plus souvent retenu aujourd'hui : le
libertin est celui qui mène une vie dissolue, qui multiplie les
conquêtes, l'infidèle par excellence, uniquement guidé par son
besoin de conquête pour satisfaire ses désirs.
Pour
résumer : le libertin revendique une liberté de pensée, un goût
de la réflexion indépendante, il est libre, refuse toute
contrainte, s'autorise tout, et ne dépend de personne.
Le libertinage dans Les Liaisons Dangereuses
Mme de Volanges donne sa définition du libertin pour mettre en garde Mme de Tourvel contre Valmont :
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Les Liaisons dangereuses, film de Stephen Frears, 1988 |
"Vous
ne connaissez pas cet homme ; où auriez-vous pris l'idée de l'âme
d'un libertin ? [...] Encore plus faux et dangereux qu'il n'est
aimable et séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n'a
fait ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut
un projet qui ne fût malhonnête ou criminel. [...] Il sait calculer
tout ce qu'un homme peut se permettre d'horreurs sans se compromettre
; et pour être cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes
pour victimes. Je ne m'arrête pas à compter celles qu'il a séduites
: mais combien n'en a-t-il pas perdues ? " (lettre 9),
Elle
ajoute que ses "aventures [sont] scandaleuses" et qu'il
ruine la réputation de toute femme. Ainsi, Valmont, le libertin par
excellence, est un personnage dont doit se méfier une femme car, ses
aspects touchants ne sont qu'une stratégie pour perdre celle sur qui
il a jeté son dévolu.
Mme
de Merteuil dans la lettre 81, se présente comme une femme libre, à
qui personne ne peut imposer quoi que ce soit (Valmont l'apprendra à
ses dépens) : elle se considère comme une femme différente des
autres en ce sens qu'elle ne dépend de personne : "je n'avais à
moi que ma pensée et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la
surprendre contre ma volonté" ; elle affirme non sans
prétention : "je suis mon ouvrage" ; devenue veuve très
vite, elle se réjouit de sa nouvelle situation : "je n'en
sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu'allait me donner
mon veuvage, et je me promis d'en profiter" ; elle n'est pas
femme à qui on dicte ce qu'elle doit faire, c'est elle qui choisit
ses amants et non le contraire : Prévan la veut pour maîtresse,
c'est elle qui le séduira mais pour mieux le perdre : "Quant à
Prévan, je veux l'avoir et je l'aurai ; il veut le dire, et il ne le
dira pas". Et quand Valmont s'aperçoit que lui aussi est
manipulé par Mme de Merteuil, qu'il s'emporte parce qu'elle
refuse de payer sa dette et qu'il lui demande de lui sacrifier
Danceny (lettre 151), elle lui reproche, dans sa réponse, son
ton "marital" et elle lui explique pourquoi elle est restée
veuve :
"savez-vous, Vicomte, pourquoi je ne me suis jamais
remariée ? Ce n'est assurément pas faute d'avoir trouvé assez de
partis avantageux ; c'est uniquement pour que personne n'ait le droit
de trouver à redire de mes actions."
Le
libertinage au XVIIIème
siècle
Le libertinage n'est pas propre au XVIIIème siècle, déjà au XVIIème siècle, on revendique un affranchissement des mœurs. Le Dom Juan (1665) de Molière met en scène un personnage qui s'affranchit de toutes les contraintes (religion, morale,autorité paternelle, conventions sociales). Mais, au dix-huitième siècle, l'évolution de la société et de la politique sont propices à la progression du libertinage.
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Fragonard, Le Verrou |
La
mort de Louis XIV en 1715, met fin à l'austérité qui a caractérisé
la fin de son règne sous l'influence de la dévote Mme de Maintenon.
Sous la régence du Duc d'Orléans (1715-1723), l'autorité de la
police, la censure, sont assouplies ; les grands seigneurs, occultés
par Louis XIV recherchent le luxe, se livrent au plaisir et à toutes
sortes de frivolités : les mœurs sont de plus en plus dissolues.
Sous Louis XV (1723-1774), on tente de rétablir des mœurs plus
"raisonnables", mais c'est sans compter sur l'influence des
salons tels celui de Mme de Lambert, où l'on se réunit, moins pour
parler philosophie et progrès, que pour persifler, faire et défaire
les réputations. Par ailleurs, l'esprit des Lumières gagne les
nobles et les riches roturiers qui refusent les préjugés hérités
d'un catholicisme conservateur : la pudeur et la bienséance ne sont
plus des vertus cardinales.
Louis XVI, (1774-1792), roi plus sage encore, essaie de réhabiliter la vertu et de rétablir de l'ordre dans les mœurs, mais les nobles ne sont pas prêts à renoncer à leurs habitudes : le culte du paraître et l'hypocrisie sociale vont dès lors être les maîtres mots de cette fin de siècle.
Louis XVI, (1774-1792), roi plus sage encore, essaie de réhabiliter la vertu et de rétablir de l'ordre dans les mœurs, mais les nobles ne sont pas prêts à renoncer à leurs habitudes : le culte du paraître et l'hypocrisie sociale vont dès lors être les maîtres mots de cette fin de siècle.
C'est
dans ce contexte que paraissent Les
liaisons dangereuses en
1782. Laclos rend compte des mœurs de ses contemporains, comme le
rappelle l'épigraphe :
"j'ai
vu les moeurs de mon temps et j'ai publié ces lettres."
Le
livre fit certes scandale, mais il attisa la curiosité des
mondains, qui cherchèrent à identifier des personnes réelles
derrière les personnages. Certaines rumeurs, certaines confidences,
non vérifiées toutefois, ont entretenu le mystère de ce que chacun
prenait pour un roman à clef : Laclos aurait confié à Tilly,
libertin qui écrivit ses mémoires, qu'il aurait rencontré
l'original de Mme de Merteuil à Grenoble, il s'agirait de la
"marquise de L. T. D. P. M, dont la ville rapportait des
aventures dignes des jours des impératrices romaines les plus
insatiables. Je pris des notes et je me promis bien de les réaliser
en temps et lieu. L'histoire de Prévan était arrivée il y a
longtemps à M. Rochech..."
Mme
de Merteuil est l'exemple parfait de cette évolution : dans la
lettre 81, elle explique comment elle est parvenue, à force de
réflexion, d'entraînements, à donner d'elle l'image d'une femme
respectable, qui passe pour une sage conseillère auprès de ses
amies : elle apprit d'abord "à dissimuler" ses
intentions, puis elle apprit à maîtriser "les divers
mouvements de [sa] figure", elle mesure ses paroles, elle ne
veut rien laisser paraître de ses pensées : elle ne montre que ce
qui " était utile de laisser voir", prend soin de ne
jamais laisser de preuves de ses relations amoureuses : "ne
jamais écrire, ne délivrer jamais aucune preuve de ma défaite".
Cette méthode, longuement élaborée, a pour but de "d'inspirer
et de feindre" l'amour et de "conserver" sa réputation
"d'invincible" :
"Les hommes qui ne plaisaient point
furent toujours les seuls dont j'eus l'air d'accepter les hommages.
Je les employais utilement à me fournir à me procurer les honneurs
de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l'Amant
préféré. Mais, celui-là, ma feinte timidité ne lui a jamais
permis de me suivre dans le monde ; et les regards du cercle ont été,
ainsi, toujours fixés sur l'amant malheureux." (lettre 81)
Le
libertinage évolue : on voit naître les roués : des hommes,
sans principes et sans mœurs ( = des libertins), dont le seul but
est la conquête des femmes, mais, contrairement aux "petits
maîtres" du début du siècle, qui se contentaient d'user de
leur élégance, de leurs manières et de leur éloquence pour
séduire les femmes, les roués mettent en place une stratégie très
méthodique, stratégie d'autant plus élaborée que la victime
désignée sera difficile à atteindre. Ainsi Valmont met-il la barre
très haut en voulant séduire Mme de Tourvel, une épouse fidèle et
dévote de surcroît : il s'invite chez sa tante, il assiste à la
messe, ne dément pas sa réputation mais assure vouloir changer de
vie, il sauve les pauvres de l'expulsion... Plus les obstacles sont
grands, plus le roué est déterminé, car c'est la difficulté qui
donnera de l'éclat à sa réussite. C'est pourquoi Valmont refuse,
dans un premier temps de séduire Cécile, car c'est une entreprise
trop facile. : "vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il
n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe ; son succès
m'assure autant de gloire que de plaisir" (lettre 4) Par
ailleurs, la réussite doit être rendue publique, c'est pourquoi Mme
de Merteuil demande une preuve écrite de la reddition de Mme de
Tourvel. C'est aussi tout l'enjeu de Prévan dans son entreprise de
faire céder l' "invincible" Mme de Merteuil ("Pour
moi, [...] je ne croirai à la vertu de Mme de Merteuil, qu'après
avoir crevé six chevaux à lui faire la cour" lettre 70) : il
faudra que tous connaissent son exploit, sinon, pas de gloire !
Mme
de Merteuil rejoint le cercle des roués : elle va faire des hommes
ses victimes, comme en témoigne le programme de sa vie :
"née
pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre"
et son credo :
"
Il faut vaincre ou périr"
(la fin du roman nous démontre que
Mme de Merteuil a perdu sa bataille), credo qui va au-delà de celui
de Valmont : "conquérir est notre destin" (lettre 4).
C'est elle qui choisit ses amants et non le contraire : Prévan
l'apprendra à ses dépends et Valmont aussi : il a eu tort de croire
que la nuit d'amour qu'elle lui avait promise en échange de sa
rupture avec Mme de Tourvel était un dû : elle n'a de compte
qu'avec elle-même. De plus, c'est aussi pour cette raison qu'elle
dépense tant d'énergie à se venger de Gercourt : c'est elle qui
répudie et pour elle, c'est un outrage d'avoir été quittée. Elle
élabore donc, comme dans le cadre de la séduction, une stratégie :
faire de Gercourt un "sot" (= le cocu) pour qu'il soit la
risée de tout Paris et comme Valmont refuse d'assumer cette tâche,
elle orchestre la liaison Cécile/Danceny, en prenant soin d'
"augment[er] l'estime de la mère, l'amitié de la fille, et la
confiance de toutes deux." (lettre 63)
Le
libertin a pour "mission" aussi d'éduquer : Valmont
considère le libertinage comme un sacerdoce et son but est de faire
des adeptes :
"nous
prêchons la foi chacun de notre côté, il me semble que dans cette
mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi."
(lettre 4).
C'est
un plaisir pour lui que de dépraver le jeunes gens. Cécile et
Danceny sont les élèves de Mme de Merteuil et de Valmont, dont ils
deviennent respectivement les amants. Cécile reçoit une
double éducation : elle est éveillée à la vie sexuelle par
Valmont, Mme de Merteuil lui apprend les rouages de la vie
d'une jeune fille libertine. Cécile est même une élève très
assidue, très vite elle devient experte et aux dires de
Valmont " l'écolière est devenue presque aussi savante que le
maître" (lettre110). De plus, livrée à l'enseignement de Mme
de Merteuil, la jeune vierge effarouchée qui au début du roman se
demandait s'il était convenable d'écrire à un jeune homme, trouve
normal d'avoir un amant : "ce que je croyais être un grand
malheur n'en est presque pas un ; et il faut avouer qu'il y a bien du
plaisir" (lettre 109) et elle admet sans se poser de question
que l'on peut être mariée et entretenir des relations avec
plusieurs amants : dés lors, elle accepte d'épouser Gercourt,
puisque loin d'être un obstacle à sa vie de plaisir, un mari est
moins gênant qu'une mère : "je ne craindrai plus tant le
moment de mon mariage. Je le désire même puisque j'aurai plus de
liberté." Enfin, comme ses maîtres elle apprend très vite la
nécessité de dissimuler : "Maman ne m'a pas encore parlé de
mon mariage : mais laissez faire ; quand elle m'en parlera, puisque
c'est pour m'attraper, je vous promets que je saurai mentir."
(lettre 109).
Source : cours et travaux d'Elisabeth Kennel.
Source : cours et travaux d'Elisabeth Kennel.
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